MAIS JE NE SUIS QU’UN LIÈVRE FARCEUR QUI TOMBE AMOUREUX LES SOIRS LUNAIRES.
[Petit-poème-potentiellement-pompeux]
Enterrées si profond les colères intérieures,
tu crois trop bien soustraire l’inaudible bourdon
des pensées infernales grondant pendant des heures,
quand tu trembles et palpites en d’infimes pulsations.
Chuchotant pour moi même, préparant le flambeau,
me reviennent en images, à l’étage bien plus haut,
de pales soleils d’hiver sous la cloche vitrée,
allures de lunes froides, opale et verre brouillé.
Nécessaire pour te fuir, que viennent à mon chevet
les animaux sauvages mordant dans mes bras clairs,
et saignant mes veines lâches séparent la crème du lait,
décante dans ce potage l’idée folle de te plaire.
Comme au cœur de la poire habite le vermisseau,
s’insinuent longuement, je n’en peux plus de rire,
les tiges et les racines maillant ce vaste réseau
du bourgeon qui se lasse de ne jamais fleurir.
2020.
*
FATEN
L’été, je macérais près des étangs, nageais mollement dans les rivières où grouillent sous les jambes les invertébrés et la poiscaille.
Toutes ces petites espèces inquiétantes et les vieux corps soufflés, emportés par les rapides. Le végétal décomposé, dérivé jusqu’à la vase.
J’y songeais sans bruit les fins d’après-midis assise auprès de la mare ; l’esprit qui divaguait parmi les lentilles et mon enfance s’enroulant toute entière autour du chèvrefeuille. Au loin il y avait la maison, j’en apercevais le toit qui fut mon abri, et la fenêtre sur laquelle frappaient alors les mêmes torrents.
2019.
*
POÈME AU LICHEN
(élégie)
Nous sommes les fruits-des-bois
Les fruits-des-bois du bois du Chat-des-bois
Mangez-nous ! Mangez-nous vite !
Vive votre estomac, vivre votre œsophage !
Gloire.
Gloire à vos sucs !
Nous sommes goûtus et sirupeux,
de consistance agréable,
Nous sommes en bonne santé !…
En bonne santé !…En bonne santé !
[ils abaissent leur visage en signe de dévotion]
Gloire à vous.
Signé : une baie de sureau, trois cassis, deux groseilles, deux mûres.
2020.
*
LA VERRIÈRE
Sous la verrière
L’eau condensée se superpose au verre trouble
Et délimite l’espace en une fraction consolante
C’est un temps de mousson
Où le tissu humide se dépose contre la peau
Les mailles de coton lâches collent à la poitrine
Alternent la chaleur des chairs et puis le froid humide
La verrière comme un voile
Il nous faudra du silence
j’installerai quelques épaisseurs
et une couverture
un futon de fortune
Je me laisserai aller au sommeil
Une sieste moite sous la verrière.
2019.
*
SANG ET HUMEURS
La phalange tranchée flotte dans la compote
parmi les tronçons de rhubarbe.
Rappel du souvenir de nuances translucides révélées sous la peau,
de lèvres sèches teintées de rouille
et du relief de l’os malaire, variante de brique et d’ocre.
Vois comme je vrille,
Sang et humeurs,
la pulpe des groseilles éclate sous la pression de l’index.
Parfois, c’est juste ainsi.
J’ai eu des années, des années derrière moi,
pour apprendre à aimer ces visages ternes
et les ombres qui dessinent les angles de leur face.
2019.
*
AZUR-GRIS-OR
[juillet 2019]
Je les connais pourtant bien ces jours de pierre
chose molle et fatiguée
à observer depuis mon lit le tressaillement des feuilles
et le petit bain de lumière du salon
une luciole à mon plafond
J’ai vidé les murs des affichettes, compagnies, consolations,
de tous les plans des films aimés
seule l’épure me réconforte
Les jours d’hôpital
les tortures de l’été
je les connais si bien,
c’est le même vent dehors.
Ce sera ainsi
il ne faut pas être triste
d’aller roder dans les coins
c’est ainsi et c’est la croix de bien d’autres
J’observe depuis mon lit
reste là aux heures chaudes,
Il m’est si impensable de ne plus te trouver assise au salon.
2019.
*
BENTONITE
Le 31 janvier 2019 à 17h17
Il me vient à l’esprit un événement tout aussi notable, vécu dans mon jeune âge, alors que j’étais garçon de ferme :
La plaque de cuivre vernissée chante dans des fréquences inaudibles du soir au matin dans l’atelier poisseux.
Depuis l’étagère où elle repose, l’Eau Forte est tirée de son sommeil, prise à partie dans son flacon et répandue sans ménagement sur le métal ciré.
Elle le mord, le mange, le déchiquette comme mille molaires.
La plaque est réduite au silence et ne donnera plus son avis.
2019.
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LES HARENGS
Milieu de la nuit, tête remplie de harengs pleins et gras, frétillent,
vrillent au dessus de mon lit
se réfugient sous les pierres plates
je te veux à jamais au creux de mon abdomen courbe,
latéral gauche étendu, donné au matelas,
je te voudrais là
mais je sais bien que tu ne sais pas.
Ni dire, ni faire
débordée, immobile,
à ne jamais agir
ni savoir décider
à laisser la vie couler sur toi.
2020.
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QUATRE AXIOMES
1. La grâce du ballet filamentaire dans le petit bouillon de soupe aux vermicelles nourrit l’âme (mais peu l’estomac).
2. Ce qui se joue n’est pas tant la mesure de l’espace entre deux corps que la modification physique du contenu de ce même espace quand il est soumis à une tension.
La nature de cette tension nous étant inconnue.
3. Laisse moi penser comme je pense, laisse mon esprit cheminer, emprunter les détours qui lui plaisent, rencontrer ce qui l’anime, le ravit et le trouble.
Tout autour est parasitage.
4. Tout ce que je dis de vrai se calfeutre dans les interstices,
recroquevillés, mes sentiments fripés se rétractent comme les limaces dès lors que tu t’approches.
2019.
Il y en a d’autres ici : https://ankewool.blogspot.com/